AVOCATS 2.0

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LES BIAS ALGORITHMIQUES ET LE DROIT (A propos du livre d'Aurélie Jean: DE L'AUTRE COTE DE LA MACHINE)

Le pouvoir de l’informaticien est dans l’algorithme et plus précisément encore dans l’écriture de l’algorithme ; ce que démontre et analyse très bien Madame Aurélie Jean dans son livre « de l’autre côté de la machine ».

Elle s’interroge sur la linguistique de la programmation informatique et rappelle avoir posé la question au célèbre linguiste Noam Chomsky de savoir s’il pensait que l’on pourrait un jour appliquer théorie linguistique au code informatique qui lui répondit : « je ne vois pas trop comment… mais si quelqu’un a une idée, je serais curieux de voir ce que ça peut donner ! ».

L’immixtion de l’intelligence artificielle dans le domaine du droit pose cette question d’une manière singulière et complexe. En effet, comme le rappellent Antoine Garapon et Jean Lasègue dans leur livre « justice digitale » il résulte de la tradition immémoriale et gréco-romaine de notre droit que celui-ci se nourrit de la parole, qu’il en est indissociable. L’art du juriste est sans doute d’abord celui de son esprit linguistique. L’exposé, la qualification juridique, la rhétorique sont impossibles sans l’usage de la langue.

Dès lors, la question n’est plus seulement de savoir si celui qui écrit l’algorithme manie une forme de linguistique mais d’apprécier la manière dont les algorithmes bouleversent le rôle de la linguistique dans le domaine du droit et de la justice.

Aurélie Jean explique que l’objectif de l’algorithme est la simulation numérique qui « passe par le virtuel pour mieux comprendre le réel ». Modéliser la réalité en créant des algorithmes ! Pour elle les ordinateurs peuvent nous permettre de comprendre le monde. Et la thèse développée dans son livre consiste à savoir comment « un mauvais algorithme peut vous amener dans un monde virtuel qui représente incorrectement la réalité ». C’est la question des biais algorithmiques.

Dans le domaine du droit et de la justice l’algorithme va devoir aider à comprendre la réalité de la donnée factuelle en l’intégrant dans les datas dont il dispose, mais aussi celle du droit à appliquer à cette réalité reconstituée virtuellement. Double opération ! Doubles risques de biais algorithmiques.

L’algorithme est utilisé dans le domaine du droit pour :

  • Faire comparer un cas à des masses de datas.
  • Faciliter les recherches des textes applicables et des jurisprudences correspondant au cas de justice à traiter.
  • Intégrer la demande en fait et en droit, puis la défense en fait et en droit dans le simulateur informatique utilisé par le magistrat, en matière civile.
  • Analyser, résumer, synthétiser un dossier pénal à partir des différents procès-verbaux dressés par les enquêteurs en matière pénale.

Etc…

Prenons les différentes étapes du travail de l’informaticien :

  • Déterminer la morphologie mathématique de la réalité juridique. Schématiser l’algorithme…
  • Implémenter le schéma dans un code informatique. Ecrire un code pour résoudre un problème réel dont nous savons qu’il résulte d’une qualification en vue de l’application juste d’une règle de droit.
  • La calibration. Elle consiste à faire varier les paramètres pour obtenir les valeurs les plus justes… Le « choix sacrificiel des hypothèses !

Indépendamment des problèmes liés à la difficulté de reconstituer deux réalités subtiles, humaines, passionnelles, complexes dont il faut ensuite essayer de faire la synthèse, nous voyons que les problèmes posés sont les suivants :

  1. La linguistique de l’algorithme est réductrice de la réalité humaine et sociale du cas à traiter et à juger.
  2. L’algorithme informatique est-il compatible, et dans l’affirmative à quelles conditions et avec quels effets, avec le droit et sa nature fondamentalement casuistique et linguistique. Langage de l’algorithme face au langage du juriste !
  3. Que devient le syllogisme du juriste dans le fonctionnement analogique de l’algorithme ?
  4. Comment réduire les biais et leurs effets déformateurs de la réalité traitée dans cet univers si différent et apparemment si peu compatible avec son mode propre de fonctionnement ?

Ces questions ne sont pas les seules qu’il va falloir se poser. Elles permettent d’entrevoir que le travail de l’avocat, gardien des libertés individuelles va devenir aussi celui d’un chasseur de tous les biais qui vont se cacher derrière le développement de la justice digitale.

 

 

 

 

 



03/05/2020
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