AVOCATS 2.0

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Colloque PORTALIS "Droit et Numérique"

J’ai assisté, vendredi 1er juin, au colloque des entretiens Portalis à Aix-en-Provence « droit et numérique ».

 

Il fut le témoignage de la prise de conscience par les milieux juridiques et judiciaires de la révolution en cours en leur sein. Il ne m’a malheureusement été possible d’assister qu’à la première partie des travaux. Il s’agissait de débattre des enjeux du XXIe siècle sous la direction du doyen de la faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-en-Provence, avec notamment la participation du secrétaire général adjoint du ministère de la justice ainsi que de Madame Valérie Laure Benabou professeur à l’université d’Aix-Marseille.

 

Les professeurs d’université, les magistrats, les avocats, et les fonctionnaires du ministère de la justice débattent de la mise en œuvre et de l’utilisation des moyens numériques mis à leur disposition. Conscients de leurs risques et de leurs potentialités, ils ont une approche pragmatique et concrète ayant pour objet de déterminer les meilleures pratiques. Mais, il y manque une réflexion, non pas seulement historique, mais surtout relevant de la philosophie du droit et pourquoi pas de la philosophie générale…, comme de la science politique, sur la nature de la disruption en cours et par voie de conséquence de la remise en cause de la place et du rôle de chacun.

 

Face à un phénomène de cette ampleur, il ne suffit pas de raisonner en techniciens, voir même en savants techniciens. Encore faut-il être conscient de ce qui se produit et ne pas se contenter de surfer même habilement ou stratégiquement sur la vague. Et ce fut tout l’intérêt de la magistrale intervention de Madame Valérie Laure Benabou en clôture de cette matinée. Elle a mis le doigt sur le point qui fait mal. Elle a réveillé l’assistance. Elle a tenté de lui ouvrir les yeux, j’allais dire les reins et les cœurs…, en faisant ressortir les enjeux épistémologiques, anthropologiques et philosophiques sur lesquels nous devons impérativement avoir une vision prospective et une analyse critique. Croire que ce qui se passe ne serait que technique ou technologique relève de l’insouciance ou de l’inconscience…

 

Comme j’ai tenté de le faire ressortir dans une question posée lors de l’ouverture des débats à la salle, la question n’est pas seulement celle d’une évolution du même type que  l’imprimerie. Une fois encore, comme le travail d’Antoine Garapon dans son livre « Justice digitale » le met en évidence, nous sommes confrontés à une transformation du langage -réduit à des chiffres et des codes - et du raisonnement – la causalité étant expulsée par la corrélation - qui sont les deux fondements du droit et de la justice. Car, ainsi que le mit en évidence l’intervention de Monsieur Stéphane Hardouin aujourd’hui le ministère de la justice ne travaille pas seulement à la mise en ligne de documents scannés, mais à leur codage. Tout va passer à la moulinette algorithmique avant que le droit ne puisse être appliqué et que la justice ne soit rendue.

 

Tout le problème est de savoir comment nous allons nous donner les moyens de réintégrer la dimension humaine indispensable au fonctionnement de l’institution judiciaire et à l’accès du citoyen au droit ; notre époque étant marquée par le double enjeu de l’accès à un droit toujours plus complexe et de l’accès à une justice toujours nécessaire.

 

Plus que jamais la question qui nous est posée, tel un défi des temps modernes, est de nous donner les moyens de maîtriser une intelligence artificielle qui nous fait croire en sa toute-puissance, alors que personne ne peut dire quand elle sera réellement capable de se doter des moyens de la singularité lui permettant d’être légale de l’homme et éventuellement son maître…. Nous devons la démasquer, la ramener à ce qu’elle est ; Madame Valerie-Laure Benabou a poussé avec justesse l’audace jusqu’à dire qu’elle refusait de l’appeler numérique ou intelligence artificielle, pour l’identifier comme étant une simple machine. Une machine sophistiquée, puissante, mystificatrice certes, mais face à laquelle nous ne devons pas renoncer à nos prérogatives, quelles que soient les difficultés de la tâche. À défaut, nous ferons le lit d’une justice inhumaine. L’heure est à la formation, à la sensibilisation, à la prise de conscience et au développement chez les professionnels du droit et de la justice des outils moraux et intellectuels en même temps que techniques, qui sont nécessaires pour cette maîtrise.

 



03/06/2018
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