AVOCATS 2.0

AVOCATS 2.0

L'avocat acteur de demain

L’intelligence artificielle chamboule tout sur son passage, sans rien laisser en dehors de son champ d’action. Son immixtion dans le domaine du droit et de la justice invite ses professionnels, et en particulier les avocats, à relever des défis d’un ordre spécifique, original.  Ils ont en effet la responsabilité particulière, sans doute essentielle, d’offrir des solutions que par pessimisme, fatalisme et manque de réflexion nous ne voyons pas poindre à l’horizon de la prospective communément partagée. Pourquoi ?

 

Le droit est l’objet de la justice. Il a un rôle traditionnellement structurant dans la société. Nos systèmes républicains et démocratiques, à vocation interventionniste, l’ont dénaturé. Il est devenu un outil politique, institutionnel. Il est réduit à la constitution d’un corps de règles, de lois, de règlements et de normes toujours plus détaillés, complexes et techniques. Ce faisant il a laissé de côté, pour ne pas dire oublié, voire renié sa vocation initiale et fondatrice d’être la science de la satisfaction du besoin de justice ; la justice est en passe de n’être plus que la justice sociale, économique ou écologique préemptées par le pouvoir politique. Ceci est si vrai que toute injustice n’entraîne en priorité que des réponses politiques par la promulgation de lois, de règlements, de normes, la plupart du temps suscités par l’autorité médiatique, omniprésente et toute puissante. La réponse judiciaire est galvaudée, méprisée, critiquée, subie, trop tardive, imparfaite. Elle est devenue une sorte de mal nécessaire qui n’apporte plus l’épanchement de la soif de justice du peuple.

 

Nous vivons donc au cœur d’un univers réglementé, dont la complexité est croissante. Ce cadre légal, qui rend absurde l’adage toujours en vigueur que « nul n’est censé ignorer la loi » est lui-même et de ce fait source d’injustices nouvelles et supplémentaires, tant sa connaissance, sa maîtrise et son respect sont devenus difficiles et réservés à des spécialistes.

 

Cette complexité moderne propre à notre modernité a progressivement vu le jour en même temps que le développement de la technique, puis de la technologie, maintenant de l’intelligence artificielle, et demain de la singularité technologique dont le spectre hante tous les esprits. Cette conjonction historique ne doit rien au hasard.

 

Deux complexités cohabitent ainsi et influent chaque jour un peu plus sur nos modes de vie et nos existences. La seconde parachève en quelque sorte l’œuvre de la première, avec une sorte de complicité fonctionnelle. Or la caractéristique de la seconde, par rapport à laquelle de grands esprits comme Jacques Ellul, Alain Supiot ou Pierre Musso nous ont mis et nous mettent en garde, a ceci de spécifique et de nouveau qu’elle procède de ruptures fondamentales et potentiellement fondatrices d’un ordre qui n’est pas nécessairement synonyme d’un monde meilleur, même s’il se pare des habits attrayants de la nouveauté et du progrès.

 

Ces ruptures technologiques et virtuelles atteignent les éléments fondateurs du droit tels que nous les ont légués les grecs et les romains, mais aussi les rédacteurs des codes Napoléon à commencer par Portalis. Il s’agit du langage, du raisonnement – le syllogisme du juriste – ainsi que tous les véhicules de l’humanisme.

 

L’avocat est au cœur de ce chamboulement au double visage. Il l’est à un triple titre. Tout d’abord en sa qualité d’auxiliaire de justice puisque c’est l’une de ses missions ; son rôle y est essentiel ; il doit l’imposer. Ensuite en sa qualité de professionnel du droit et pas seulement de la technique d’interprétation des lois et des règlements ou encore des normes, mais par ce qu’il maîtrise l’art du procès. Enfin, en sa qualité de conseil du citoyen et du justiciable confronté à son quotidien et à cette complexité juridique, administrative, sociale, institutionnelle et technologique.

 

L’avocat est de ce fait investi d’une mission particulière. Bien sûr doit-il maîtriser l’outil informatique et en particulier l’intelligence artificielle, ainsi que tous les nouveaux modes de communication. Mais le tableau que nous venons de dresser met en évidence qu’il a une responsabilité particulière, d’un autre ordre. Acteur du droit il lui appartient de lui redonner son sens, son rôle et sa fonction, envers et contre tout. Il doit rechercher les moyens d’inventer, de créer, d’innover, de transformer les ruptures en cours afin d’en éviter les effets négatifs ; il doit encore revendiquer le respect des libertés fondamentales mises en cause par un système dont les complexités sont l’arme absolue.

 

Pour ce faire il doit utiliser les moyens de l’intelligence artificielle, la science des lois et des règlements, bien sûr, mais aussi la force du langage, du syllogisme, de l’épistémologie, de la rhétorique, de l’humanisme, bref de tout ce qui peut et doit créer le lien et la civilisation afin d’apporter les suppléments d’âme, de conseil et de structure qui font défaut. Il doit utiliser les ressources de ce monde nouveau, les retourner au profit de ceux dont il doit reconquérir la confiance

 

S’agit-il d’une entreprise passéiste, de simple résistance ? Si tel devait être le cas, le combat serait perdu d’avance. Non cet avocat-là est moderne, d’une absolue modernité. Il faut l’inventer, le faire renaître au cœur de la confusion ambiante. Telle est la gageure ! C’est ce à quoi nous devons nous atteler d’urgence avec la force de la conviction et de l’imagination qui n’ont jamais manqué à cet acteur irremplaçable qui exerce le plus vieux métier du monde. La défense et le conseil, dont le dernier homme sur terre aura encore besoin, lui survivront, quoi qu’il arrive….

 

 

 



11/02/2018
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